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Denis Kessler : l’économie alsacienne profite de la croissance de ses voisins

© Nathalie Oundjian

Qui êtes-vous ?

D. K. • Issu d’une famille très attachée à ses racines alsaciennes, je suis né le 25 mars 1952 à Mulhouse, où j’ai réalisé toutes mes études secondaires. Je suis ensuite parti à 17 ans pour une année aux États Unis avant de rejoindre le Lycée Kléber à Strasbourg pour une prépa HEC. J’ai quitté la région quand j’ai intégré l’École des Hautes Études Commerciales (HEC), à Paris. Agrégé en sciences sociales et sciences économiques, j’ai commencé ma carrière en tant que chercheur, docteur et professeur de sciences économiques aux Universités de Paris X Nanterre et de Nancy II. Puis, j’ai été élu Directeur d’Études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), à Paris. C’est en 1990 que débute véritablement ma carrière dans l’assurance, en tant qu’administrateur de l’UAP, qui était à l’époque le leader du marché européen de l’assurance. Après avoir occupé les fonctions de Directeur général et de membre du Comité exécutif du groupe AXA entre 1997 et 1998, j’ai été nommé vice-Président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), poste occupé jusqu’en 2002. Depuis novembre 2002, je suis Président-Directeur général du groupe SCOR, devenu aujourd’hui le 5e réassureur mondial.

Quels sont vos projets au sein de SCOR ?

D. K. • Depuis 10 ans, tout a changé au sein de SCOR, sauf le nom! Le Groupe s’est en effet profondément transformé: grâce aux plans stratégiques successifs, le Groupe SCOR a vu son chiffre d’affaires passer en dix ans de 3,7 à 10,3 Md€, ses fonds propres de 0,6 à 5 Md€ et sa notation de BBB- à A+. SCOR est devenue une entreprise globale, regroupant des collaborateurs de cinq nationalités différentes, avec des risques dans près de 140 pays. Le chiffre d’affaires français n’est que de l’ordre de 5% du total. Nous avons opté dès 2005 pour le statut de Societas Europaea. SCOR est devenu un réassureur de premier rang. Fin 2013, un nouveau plan stratégique 2013-2016, appelé «Optimal Dynamics», s’appuie sur des objectifs ambitieux en termes de rentabilité et de solvabilité. Grâce à des acquisitions stratégiques, nous nous sommes hissés au premier rang de la réassurance vie aux USA.

Quel regard portez-vous sur l’Alsace, ses atouts, les défis qu’elle a à relever ?

D. K. • L’image donnée par les pouvoirs publics est erronée. Elle est celle d’une Alsace à la traîne de la déprime nationale. C’est à la fois vrai puisque les difficultés de la reprise française pèsent sur l’économie alsacienne. Et erroné car l’économie alsacienne profite de la croissance de ses voisins. Enfin, l’image d’une Alsace dominée par les créations-destructions d’emplois et d’entreprises et ignorant l’investissement et l’épargne, est une image unidimensionnelle qui fait l’impasse sur les atouts et faiblesses réels de l’Alsace. L’Alsace dispose en effet d’atouts majeurs: elle se situe au cœur de l’Europe. Sa population est relativement jeune, et mieux qualifiée que dans le reste du pays, comme en témoignent les taux de réussite au bac et le taux d’apprentissage plus élevé qu’au niveau national. Elle a le sens de l’effort, avec un taux d’activité de 74% et un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale. Ses activités sont diversifiées et réparties sur son territoire. Pour autant, les défis restent nombreux. Son PIB ne représente que 2,7% du PIB national mais sa croissance a fortement ralenti dans les années 2000 : désormais, elle ne représente plus que la moitié de la croissance nationale, avec un fort recul de l’activité suite à la crise (-0,5% par an sur 2008-2011)… Un ralentissement sans doute lié au recul des contributions du secteur public et de la construction. Certes, les échanges extérieurs de l’Alsace sont devenus déficitaires avec la crise mais ses performances sont meilleures que celles réalisées au niveau national et témoignent du dynamisme de l’Alsace dans la concurrence internationale. propos recueillis par F. HerrmannInterview obtenue grâce à la complicité de la Maison de l’Alsace à Paris.

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INTEGRALITE DE L'INTERVIEW Quel regard portez-vous sur l’Alsace, ses atouts, les défis qu’elle a à relever ?

L’image donnée par les pouvoirs publics est erronée. Elle est celle d’une Alsace à la traîne de la déprime nationale. C’est à la fois vrai puisque les difficultés de la reprise française pèsent sur l’économie alsacienne. Et erroné car l’économie alsacienne profite de la croissance de ses voisins. Enfin, l’image d’une Alsace dominée par les créations-destructions d’emplois et d’entreprises et ignorant l’investissement et l’épargne, est une image unidimensionnelle qui fait l’impasse sur les atouts et faiblesses réels de l’Alsace.

 L’Alsace dispose en effet d’atouts majeurs :

1 - Elle se situe au cœur de l’Europe, notamment à proximité de pays européens qui ont réalisé des réformes exemplaires, qui sont en croissance et qui réussissent. L’économie alsacienne est tournée vers l’Europe : Allemagne, Suisse, Autriche, Belgique et Pays-Bas en premier lieu, mais aussi Italie et Espagne. 75 % de ses clients étrangers résident dans l’Union Européenne… si l’on ajoute la Suisse, 81 % des clients de l’Alsace sont européens.

2 - Sa population est relativement jeune, et mieux qualifiée que dans le reste du pays, comme en témoignent les taux de réussite au bac et le taux d’apprentissage plus élevé qu’au niveau national.

3 - Elle a le sens de l’effort, avec un taux d’activité de 74 % et un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale.

4 - L’Alsace dispose d’activités diversifiées et réparties sur le territoire (autour de Mulhouse, Colmar, Strasbourg - Haguenau – Molsheim) avec une spécialisation dans les équipements industriels ; sa dépendance vis-à-vis de l’industrie doit être vue comme un atout, même si elle impose des reconversions. L’Alsace est en outre engagée dans trois pôles de compétitivité labellisés : véhicules du futur, fibres naturelles Grand-Est et innovations thérapeutiques, ce dernier figurant au nombre des neuf pôles à vocation mondiale.

5 - Elle dispose d’une bonne attractivité internationale (les investissements étrangers représentent 40 % de l’emploi et 25 % de l’activité). Certes, les échanges extérieurs de l’Alsace sont devenus déficitaires avec la crise mais ses performances sont meilleures que celles réalisées au niveau national et témoignent du dynamisme de l’Alsace dans la concurrence internationale.

6 - Le dynamisme de l’Alsace s’exprime aussi par le fait qu’elle est, beaucoup plus que le reste de la France, tournée vers l’Asie, notamment les pays d’Asie en développement rapide.

7 - Finalement l’Alsace est (encore) riche : elle vient juste derrière l’Ile-de-France, et devant la région Rhône-Alpes, pour le revenu fiscal médian par unité de consommation (20 603 € en 2011 contre 22 243 € pour l’Ile-de-France)…Les prestations sociales représentent une part moins élevée de son revenu disponible brut que la moyenne nationale (31,8 % en 2011).

Les défis de l’Alsace sont cependant nombreux :

1 - Son PIB ne représente que 2,7 % du PIB national mais la croissance économique a fortement ralenti dans les années 2000 au cours desquelles elle ne représente plus que la moitié de la croissance nationale, avec un fort recul de l’activité suite à la crise (-0,5 % par an sur 2008-2011)… Ce ralentissement résulte du recul des contributions du secteur public et de la construction.

2 - Cette évolution n’est pas imputable à l’évolution de la population car le PIB par tête de l’Alsace (qui n’est plus que 28 849 € en 2012) a aussi baissé ?  relativement au PIB par tête de la France hors Ile-de-France (26 811 €) même s’il reste supérieur à celui-ci.  Il en est de même pour le revenu disponible brut par habitant (19 783 € pour l’Alsace contre 19 588 € pour la France hors Ile-de-France).

3 - Cette évolution est imputable au ralentissement de la productivité  (le PIB par tête de l’Alsace s’élève à 70 237 €, contre 68 191 € pour la France hors Ile-de-France et 75 818 € pour la France métropolitaine, juste derrière la région Rhône-Alpes), du fait de la chute de la productivité dans le secteur tertiaire alors que la productivité croît plus vite qu’au niveau national dans le secteur industriel.

 De fait, le mauvais score de l’Alsace en matière de productivité au cours des 20 dernières années, n’est pas imputable à la structure sectorielle de l’activité, (dont le rôle reste neutre sur la période) mais à des effets propres aux différents secteurs de l’économie alsacienne. Notamment, le poids du secteur public, administration et secteur tertiaire non marchand, obère l’économie alsacienne : il représente en effet 23 % de l’activité, comme au niveau national, et fait peser une dette publique locale par habitant excessive, aussi élevée qu’au niveau national.

 Avec 48 % de son activité dans le secteur tertiaire et la création d’emploi concentrée dans ce secteur, les services constituent l’avenir d’une Alsace moderne au cœur de l’Europe ; ils doivent contribuer au dynamisme de l’économie et de la productivité en Alsace.

Mulhouse – Bâle : des performances opposées

Un constat : Mulhouse a une économie moins performante que celle de Bâle et l’écart continue à se creuser.

Plus de la moitié de l’écart de salaire entre Mulhouse et Bâle peut s’expliquer par les écarts de taux d’activité, de durée du travail (35 heures contre 40 heures) et de qualification de la main d’œuvre.

Le reste de l’écart s’explique par les prélèvements et autres rigidités qui pèsent sur les entreprises côté français et obèrent leur flexibilité et leur capacité d’innovation.

Cette comparaison Bâle-Mulhouse est un bon (et triste) exemple des raisons du déclin relatif de notre pays ; ces deux villes partagent le même climat, le même positionnement géographique, les mêmes voies de transport, une histoire largement commune. La différence réside dans les lois en vigueur de part et d’autre du Rhin. L’Alsace a subi toutes les conséquences négatives de l’alourdissement des prélèvements obligatoires, de la germination incontrôlée du Code du travail, de la hausse permanente de la fiscalité, etc.  Et quand certains incriminent l’euro comme cause des difficultés de la France, je me permets de rappeler que le franc suisse n’a fait que s’apprécier au cours de ma vie ! Il est plus qu’urgent que la France fasse son aggiornamento et cesse de développer un modèle étatiste et interventionniste qui affaiblit notre économie… et s’inspire des principes mises en œuvre chez nos voisins proches…

 

Mulhouse

Bâle

Taux d’activité des 15-64 ans

67,3 % (Canton 2010)

69,2 % (Canton 2000)

79,9 % (NWS 2010)

78,3 % (NWS 2000)

Emploi (2013 T4)

36.519 (Mulhouse)

120.967 (Sud Alsace)

184.211 (Bâle)

570.400 (NWS)

Variation de l’emploi sur 1 an

-0,8 % (Sud Alsace)

+1,1 % (NWS)

Nombre d’apprentis

996 (canton 2009)

1.802 (Bâle 2012)

Parts des étrangers

14 % (Alsace)

30,3 % (NWS)

Emplois frontaliers

35.500 (Alsace->NWS)

100 (NWS -> Alsace)

Taux de chômage (2013 T4)

11,2 % (Mulhouse)

8,5 % (Sud Alsace)

3,7 % (NWS)

Variation du chômage sur un an

Légère baisse

stabilité

Taux de chômage > 1 an

41,2 %

18,8 %

Part des 15-64 ans ayant un niveau d’études universitaire

19,5% (canton 2010)

15,8 % (canton 1999)

40,5 % (Bâle 2013)

21,1 % (Bâle 2002)

Professeur / étudiant (université)

0,05

0,2

PIB (mio. €)

51.816 (Alsace 2010)

23.087 (Bâle 2008)

23.863 (Bâle 2011)

72.563 (NWS 2011)

Evolution du PIB (2000-2010)

+25,4 %

+49,6 %

PIB par habitant (€)

23.927

(Haut-Rhin 2005)

121.170 (Bâle 2008)

128.571 (Bâle 2011)

67.477 (NWS 2011)

PIB par emploi (€)

62.573

(Hautt-Rhin 2005)

126.556 (Bâle 2008)

134.162 (Bâle 2011)

Salaires (€)

1879 (canton moyenne 2010)

5.084 (Bâle médiane 2010)

Nombre de PME (2010)

32.686

53.345

Durée des séjours touristiques

1,7 jours

2 jours

1 franc suisse = 0,82 €  (cours de juin 2014)

07/07/2014Partager