Transmission : entreprises familiales : une passion allemande

Outre-rhin

Derrière le terme générique de Familienunternehmen, se cachent des réalités différentes : pour les plus petites entreprises, la relève est de moins en moins assurée. L’Allemagne doit pourtant à ce modèle plusieurs de ses champions qui, aujourd’hui, se battent avec une concurrence mondiale.  

Le constructeur de tunneliers Herrenknecht à Schwanau dans l'Ortenau fait partie des plus grandes entreprises familiales allemandes. Ici, son tunnelier construit pour traverser la chaîne des Apennins en Italie. © Herrenknecht AGBerndt* est boucher dans la Forêt-Noire. Pour lui, reprendre la boutique familiale en 1997 avec son épouse Gabriele* était une évidence. Mais à quelques années de sa retraite, le couple doit revendre. Aucun de ses enfants n’a envie d’enfiler le tablier. « Les jeunes préfèrent faire des études et travailler dans une grande entreprise. C’est moins de responsabilités et ils sont assurés de partir en vacances. » Ils ont bien leur idée des candidats parfaits : un couple d’artisans qui connaît le métier et prêt à s’engager, comme eux il y a 20 ans. Mais ce genre d’oiseau se fait rare. Berndt et Gabriele ne sont pas des cas à part. Selon le KfW (Institut de crédit pour la reconstruction), 17 % des chefs d’entreprise badois envisagent de passer la main entre 2018 et 2022, vieillissement oblige. Mais en Allemagne, 14 % des dirigeants, qui partent en retraite, envisagent de baisser le rideau. Parmi les entreprises de moins de 5 personnes, le taux de fermeture planifiée monte à 41 %.

Une fiscalité allégée, mais liée au maintien de l’emploi

Faut-il pour autant faire un sort à l’entreprise familiale allemande ?
« Sûrement pas », répond Luc Julien-Saint-Amand, avocat d’affaires et associé du cabinet Valoris, dont le franco-allemand est l'une des spécialités. De son point de vue, les successions d’entreprises ont toujours été plus avantageuses en Allemagne : « Si le donateur ou le défunt détient plus de 25 %, les donataires ou les héritiers pourront être exonérés de fiscalité s’ils conservent leur participation et l’« essentiel » de l’emploi pendant 7 ans, dans la limite de 26 millions € de patrimoine transmis. » En France, le pacte Dutreil permet un abattement de 75 % si les successeurs s’engagent à conserver leurs parts pendant au moins 4 ans et si l’un d’eux exerce une fonction de direction.
En revanche, il n’existe pas de condition liée au maintien des emplois. « Ainsi, le modèle allemand autorise une souplesse inconnue du droit français, dans la mesure où le régime de faveur n’est pas lié à une condition de direction de l’entreprise, laquelle direction pourra ainsi être transmise au plus méritant. » Quand elles atteignent une taille critique, certaines entreprises voient la majorité de leur capital social confié à une fondation à but non lucratif. Une manière de soigner son image, mais aussi de sanctuariser ses parts.
Les cas de prédation sont suffisamment rares pour défrayer la chronique. Quand en 2016 le groupe chinois Midea s’est emparé du géant bavarois de la robotique Kuka, la crainte de voir des trésors industriels rachetés par la Chine a fait souffler un vent de panique chez les responsables politiques. À quelques kilomètres de la frontière, le constructeur de tunneliers Herrenknecht fait partie des entreprises familiales les plus renommées d’Allemagne. Il se bat contre le groupe chinois Creg qui réalise une percée en Europe.
Un défi pour la génération suivante ? À 78 ans, le PDG du groupe Martin Herrenknecht n’a pas l’air de vouloir passer la main immédiatement : « tant que ma santé me le permettra, je continuerai », déclarait-il fin juin au Lahrer Zeitung.> Pierre Pauma
* Les prénoms ont été changés.

 

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