Management interculturel : consensus à l’allemande ou agilité à la française ?

Le management allemand est réputé pour sa rigueur. Il se démarque pourtant par des rapports hiérarchiques moins prononcés et ses prises de décision collectives. Quant aux Allemands qui ont expérimenté le management français, ils battent en brèche les clichés en louant sa flexibilité.

Pour Olivier Ducaroy, Würth propose un modèle de management hybride, même s’il le juge plus proche de la tradition allemande. © DR

En 2018, 18 % des jeunes diplômés des écoles de management tentaient leur chance à l’étranger, rapporte l’enquête de la Conférence des grandes écoles. Si les pays anglo-saxons et la Suisse restent les principales destinations, l’Allemagne n’est pas en reste avec 113 000 Français. Avec son plein emploi et des salaires attractifs, l’Allemagne a de bons arguments à faire valoir.

Un management responsabilisant…

Quel que soit le poste occupé, travailler en Allemagne demande quelques efforts d’adaptation culturelle qui vont au-delà de la barrière linguistique. En France, où la structure hiérarchique reste importante, le manager est souvent perçu comme un décideur, loin du rôle de médiateur qu’on lui prête en Allemagne. Directeur commercial de Würth France, Olivier Ducaroy affirme avoir revu son mode de fonctionnement, lors de son passage de trois ans au siège de la maison-mère à Künzelsau. « J’ai dû apprendre à être plus consensuel », s’amuse-t-il. Pas question en revanche de changer son rythme de travail. Alors que les cadres français restent tard au bureau pour montrer leur implication, leurs collègues allemands se font rares après 18 h. Venir à bout de ses tâches à la fin de la journée est perçu comme un gage d’efficacité. Installé à Berlin, consultant dans un cabinet conseil en management, Christophe Têtu a vite apprécié ce management horizontal, qui lui a permis d’avoir des responsabilités dès le début de sa carrière en Allemagne. « Plus tard, quand j’ai occupé mon premier poste en France, ça a été un retour en arrière pour moi. »

… mais lent

Cet attachement moindre à la hiérarchie peut sembler paradoxal, car la culture de l’entreprise allemande comporte, elle aussi, ses contraintes. Dans un système délibératif, où tout le monde est invité à donner sa position, les ordres du jour des réunions sont millimétrés, le temps de parole chronométré et la ponctualité de mise. « Le fait de décider et d’imposer seul permet quand même un gain de temps », estime Olivier Ducaroy. « Mais en Allemagne, une fois le temps de la délibération passé, on ne revient pas sur ce qui a été dit. » En France au contraire, les décisions prises sont régulièrement rediscutées. Ce n’est pas forcément pour déplaire aux Allemands qui ont expérimenté les deux modèles. Vice-président communication et affaires publiques de Bosch France, Harald Frank-Lerendu estime que les Français en tirent une capacité d’adaptabilité remarquable, là où leurs homologues allemands détestent les imprévus.

Le modèle délibératif allemand a toutefois trouvé ses limites. Pour Christophe Têtu, cette lenteur de la délibération n’est pas totalement étrangère au retard technologique qu’accusent certaines entreprises dans le domaine de l'innovation. Entre-temps, la direction des grandes entreprises allemandes s’est fortement internationalisée. Dans les comités de direction des entreprises du DAX, on comptait en 2017 plus de 30 % de non-Allemands. Christophe Têtu cite volontiers la métamorphose de la Deutsche Telekom qu’il connaît bien : en 20 ans, la compagnie a recruté de nouveaux managers étrangers et l’anglais s’y est imposé comme langue de travail. Nul doute que la culture du management s’en trouvera bouleversée. > Pierre Pauma

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