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Nicolas Stoskopf : l’entreprise rhénane, un modèle pour le long terme

Ce professeur à l’Université de Haute Alsace a étudié l'histoire des entreprises alsaciennes et allemandes pour en détricoter mythes et réalités.

© Benoît Linder

Décrivez-nous, en quelques mots, comment vous est venue votre passion pour l’histoire… et l’écriture ?

N. S. • Après mes études d’histoire, j’ai enseigné dans différents établissements, à tous les niveaux, du secondaire à l’Université. L’enseignement n’a pas suffi à combler mon appétit de découverte. J’ai eu très vite le goût de la recherche. J’aime beaucoup trouver des documents inédits, aller dans les archives d’entreprises, souvent inédites, puis proposer des idées nouvelles. Ce qui se combine avec un goût de l’écriture.

Vous avez participé récemment à l’ouvrage : « L’entreprise rhénane, mythe ou réalité ?* ». On y parle des origines des performances économiques de l’Europe rhénane. Quelles sont-elles ?

N. S. Le point de départ de mes recherches a été le livre de Michel Albert sur la fin du modèle rhénan*, en 1991. Selon lui, le capitalisme peut se décliner version rhénane ou version anglo-saxonne. La première valorise le collectif, le productif, le long terme, la seconde l’individuel, le financier, le court terme. Or, l’histoire de l’Alsace nous montre des comportements spécifiques qui pourraient être résumés dans une vision à long terme, axée sur la transmission. Contrairement aux modèles anglo-saxons, ce sont ces éléments qui ont contribué à la puissance de l’Alsace au XIXe siècle. Avec une attention particulière portée aux personnes et la prise en compte d’une dimension familiale et culturelle.

Pour avoir étudié les origines des performances économiques de l’Europe rhénane, Michel Hau** dit que les élites de l’époque ont dû compter sur leurs propres forces car elles étaient éloignées des capitales. « Elles se sont tournées vers l’entreprise pour réussir et non vers les fonctions d’État ». En cela nous avons été pionniers, bien avant les Allemands. Par contre, notre capital s’est effondré à la suite des guerres, de la crise textile, etc. Nous avons connu une relève au XXesiècle, avec des réussites entrepreneuriales (Clemessy, Manurhin et plus près de nous Baco, Centra, Gebo, Walter, etc.), mais contrairement aux anciennes dynasties – De Dietrich, Dollfus, Schlumberger –, de nombreuses entreprises ont une existence éphémère et ne se sont pas ancrées dans le territoire. Bien sûr, il y a des contre-exemples, comme Socomec ou Soprema… mais ils ne sont pas nombreux.

Quelles sont les caractéristiques de l’entreprise rhénane?

N. S. • L’ouvrage auquel j’ai participé fait suite à un colloque qui s’est tenu en 2012 à la Société industrielle de Mulhouse. À l’occasion d’une table ronde, Urs Endress (président d’Endress+Hauser France à Huningue) et Rémi Lesage (PDG du groupe Rector Lesage à Mulhouse) l’ont dit avec force : l’objectif essentiel c’est la pérennité, la transmission du feu sacré, le passage à la génération suivante. L’entreprise rhénane unit patrons et salariés par un lien de responsabilité à leur égard. En Allemagne et en Suisse, on constate que des entreprises créées après la deuxième guerre mondiale se sont suffisamment développées pour se transmettre. En Alsace, on a un peu perdu ce sens du long terme, alors que c’est ce qui devrait caractériser une entreprise. En investissant, en innovant, en préparant sa succession, elle se projette dans l’avenir. Trop souvent, les dirigeants ont le nez dans le guidon. Certes, nous avons des start-up, mais elles sont souvent vendues et restructurées, et passent aux mains de capitaux étrangers.

Pourquoi ces PME ne sont-elles pas plus nombreuses ?

N. S. • Est-ce dû à l’image de l’entreprise qui n’est pas valorisée ? Aux changements de mentalités ? L’individualisme aidant, on se projetterait moins dans l’avenir et dans la réussite de son territoire ? Sommes-nous dans un système rigide où l’on attend tout de l’État ? Je n’ai pas la réponse. Le modèle rhénan, en tout cas, est fondé sur la confiance dans les élites locales, sur la ressource humaine, clé de la compétitivité. Aujourd’hui, les entreprises à dominante familiale qui perdurent, sont celles qui ont un système de valeurs fondé sur le bon sens et considèrent l’homme comme la fin de leurs actions et l’argent comme un simple moyen. On doit être moins fier du passé que préoccupé de l’avenir. Je l’écris dans ma conclusion: l’entreprise rhénane est un modèle qui est capable de dynamiser des systèmes territoriaux d’organisation tournés vers la créativité, au sein desquels la mobilisation des ressources permettrait de réconcilier la cohésion sociale et la performance économique. En privilégiant la capacité d’apprentissage et l’innovation.

Propos recueillis par Françoise Herrmann
* « Capitalisme contre capitalisme», Michel Albert, Édition Le Seuil, 1991
** L’entreprise rhénane, mythe ou réalité, hommage à Michel Hau, Picard, 2015

12/05/2015Partager